Ce vendredi 19 mars 2021, alors que des membres de l’Union des Sans-Papiers pour la Régularisation était expulsés de l’église du parvis de St-Gilles, il fut proposé de se joindre à l’occupation du théâtre nationale, dont l’invitation tournait de manière confidentielle, notamment parmi les professionnels de la culture subsidiée. Le message demandait de « mobiliser à max », d’apporter entre autre : « banderoles, peintures, matelas, sac de couchage, bouffe, ma sœur/mon frère, amour et eau fraîche ». La conclusion sollicitait la discrétion du lecteur dans un premier temps, et de faire son « ramdam » dans un second. Jusqu’ici, les consignes et les demandes s’inscrivaient aussi bien dans les modes d’actions du collectif de militants sans-papiers, que dans sa stratégie et ses compétences.
Pourtant, l’accueil réservé à l’USPR le fut non sans une certaine retenue. En effet, ce n’est pas une occupation que nous avons rejoint, mais une présence symbolique au sein d’une institution, dont l’existence entière était conditionnée par la bénédiction de sa direction. Dès lors, les personnes porteuses de l’initiative voyaient cette incursion extérieure à la mise en scène comme un risque potentiel de perte de contrôle. A raison.
Car comme souvent en Belgique francophone, cette tentative de reproduction de lutte française était pour l’instant nébuleuse. La résidence d’artistes était comme plongée sous un brouillard que nos échanges peinaient à éclaircir, nous étions beaucoup à attendre que l’assemblée de 18h vienne ouvrir le champ de vision politique, afin d’y établir nos perspectives communes. La volonté de l’USPR était alors d’occuper cet espace public au même titre que les actrices et acteurs culturels qui y étaient présents, et y échanger sur les stratégies politiques respectives, voir si le théâtre national pouvait accueillir la lutte pour la régularisation au-delà de sa constatation et de la démonstration de sa nécessité. Une volonté qui, selon-nous, fit écho à celle animant la base de l’assemblée.
Lors de la première A.G de l’inoccupation, deux activistes de la culture se présentèrent comme « les initiateurs.rices de l’action » et les « personnes de contacts avec la direction ». Elles nous ont ensuite expliqué leurs intentions, à savoir, ouvrir un lieux où toutes et tous seraient les bienvenues pour s’organiser, en particulier, le secteur culturel qui était ici représenté par une centaine personne. Pour ce faire, le théâtre serait habité de nuit, cette hospitalité étant cependant limitée à une vingtaine de places. Une précaution sanitaire dont la décision verticale était assumée comme purement arbitraire, tenant bien de l’estimation et non de directives officielles, appuyée par un l’argument de la menace policière. Rappelons qu’à l’église du béguinage, pour une superficie moindre, le bourgmestre avait accepté une centaine d’occupants. Cette mesure imposée fut questionnée par des membres de l’assemblée, avec ou sans papiers. Une cohésion pouvait déjà s’observer entre la base et les intentions politiques de l’USPR.
Malheureusement, les metteurs en scène et détenteurs de la parole décisionnelle stoppèrent rapidement cette première discussion, affirmant la limite de place pour cette première nuit et invitant les militants pour la régularisation présents à inscrire leur nom sur la liste des personnes prêtent à passer la nuit. Avec la préoccupation, toutefois, qu’un certain quota soit respecté entre membres reconnus de la culture et membres de l’USPR. Ce quota marque bien l’inquiétude des organisateurs.rices de se faire déposséder de leur tribune médiatique et de devenir « une église du béguinage bis ». Si une éventuelle évolution de cette restriction était laissée flottante comme pour s’assurer de maintenir un climat de paix et de consensus, la ligne de démarcation était tracée. Il y avait d’une part les inoccupants légitimes, et ceux tolérés - que l’on voyait déjà assez comme ça par ailleurs.
Les bases furent posées pour que la suite de l’A.G soit conflictuelle et contre-productrice pour tous.tes. Autant pour celles et ceux se revendiquant de la culture, que pour nous, membres et soutiens de l’USPR. Comme nous le disions, la base était favorable à l’inscription réelle des revendications de l’USPR aux seins des raisons d’être de cette action symbolique. Ainsi, quand nous acceptions de faire un pas de côté et de laisser les mobilisés du spectacle construire les contours de leur action – à savoir, énumérer les besoins logistiques et les encommissioner au lendemain – le sujet était ramené sur la table par des nouveaux soutiens de l’union. Très vite, tout le monde pu le constater, cette agora tournait en rond, incapable de dépasser la question du logement et de la place donnée ou non à l’USPR. Des frustrations s’accumulèrent, et quelques citoyens finirent par partager leur mécontentement : la parole aurait été monopolisée par un hors-sujet.
L’assemblée était empêchée, la résistance culturelle infiltrée et sclérosée par le combat des exilés. Pourtant, cette parole nous nous étions efforcé à l’écouter, et ce que nous avions entendus, c’était de nombreuses questions restées sans réponse, ou des affirmations laissées en suspens, aussitôt tues par les interventions suivantes que la modération faisait s’enchaîner sans objectif définit. Nous vous livrons-ici (du mieux dont on s’en souvienne) quelques unes qui, nous pensons, saurons dresser le tableau de l’inefficacité qui pesa sur cette discussion à faire émerger un sujet collectif :
Je ne suis pas à l’aise avec la manière dont on a balayé la question de la limite de place, est-ce qu’on pourrait pas en discuter jusqu’au bout ?
En fait pourquoi des gens devraient rester dormir ? Fin je veux dire, si c’est pour que des gens puissent rester et discuter on peut très bien le faire la journée ? Poser la question de pourquoi rester dormir c’est aussi se demander ce qu’on fait là.
J’ai l’impression qu’on est entrain de se demander qui va ouvrir une page facebook et comment on va avoir des likes alors qu’on sait pas qui on est et qu’on a pas parlé de ce qu’on veut.
Moi je suis pas sûr de bien comprendre ce qui se passe, je vous avoue à la base je suis venu plutôt ici pour boire des bières, mais si des gens arrivent avec un discours construit je vois pas pourquoi on cet espace pourrait pas non plus accueillir ce message.
Pourquoi est-ce qu’on ouvrirait pas plus le lieux ? Si c’est par peur de la police est-ce qu’on discuterait pas de ça justement ? Notre rapport à la police si ou veut oui ou non risquer qu’ils viennent ?
Est-ce qu’on s’organiserait pas collectivement pour émanciper les personnes garantes de l’occupation des responsabilités qu’elles ont prises ?
Pourquoi quand les organisateurs parlent ils nous tournent le dos à nous les sans-papiers ?
On voit bien ce qu’il se passe dans cette assemblée, il y a un groupe de sans-papiers sur la tribune, et nous en dessous !
Moi j’essaie juste de faire un pas vers la lutte parce que la culture crève la bouche ouverte, et les pouvoirs publics s’en battent les couilles, alors pourquoi j’ai l’impression que je me fais pointer du doigt comme une raciste ?
Nous pensons que nous aurions tous gagné à entendre ces revendications, à confronter le dispositif préexistant, ce rassemblement en lieu fermé, pensé par une poignée comme une action symbolique médiatique d’appel au gouvernement . A comprendre la potentielle dynamique collective réelle, et non celle attendue ou espérée. Nous, soutiens de l’USPR, pensons que les néophytes présents auraient gagné à passer moins de temps à déplorer leur manque de formation politique, et plutôt questionner les sans-papiers présents sur leur longue expérience de lutte. Nous pensons que tout ce qu’il manquait à cette inoccupation pour en devenir une, c’était une volonté et une détermination réelle de notre part, au lieu de nôtre acceptation passive de cette copie française sans substance. Nous entendons haut et fort les revendications d’un pan de la culture, mais nous savons aussi qu’elle n’était pas là dans son entièreté. Que l’invitation n’aura pas atteint ceux qu’elle met chaque jour de côté, ceux sans statut qui font pourtant vivre et exister les cultures urbaines depuis toujours sans demander leur reste, ceux et celles qui n’ont pas attendu ni les subsides, ni le corona pour créer en luttant et exprimer leurs passions. Nous déplorons le manque d’investissement dans la culture et nous soutenons les personnes luttant pour l’accessibilité et la survie des arts populaires. Mais nous refuserons toutes chaînes d’équivalences comme celles que nous avons entendues « Je pensais qu’on était ensemble » ou « la convergence ça se fait des deux côtés » et aussi « il n’y a pas d’ennemis ici, on se bat pour la même chose on est tous dans la merde ! ». Celles-ci voudraient mettre au même niveau les poings levés de celles et ceux qui risquent leurs vies quand ils passent une frontière pour la sauver, avec celles et ceux qui les photographient ce faisant, exposent leurs gilets de sauvetage dans les galeries, ou racontent leurs histoires sur les scènes des théâtres …
L’occupation en devenir est toujours en cours, à nous, à vous d’en faire advenir un sujet collectif politique capable d’obtenir des victoires. C’est ce que nous souhaitons.
Pour une culture de la régularisation - contre la régularisation de la culture.
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