Entendu à 28minutes le 08 12 17
Le 8 décembre 2017, une des invités de l’émission 28 minutes a déclaré : " Les israéliens n’ont jamais empêché quiconque de pratiquer sa religion." Etat des lieux de la pratique religieuse pour les Palestiniens chrétiens et musulmans, depuis 1949...
Dire, comme le fait une des invités, lors de l’émission 28 minutes du 8 décembre 2017, que les Israéliens « n’ont jamais empêché qui que ce soit de pratiquer sa religion » , c’est en quelque sorte faire croire que les engagements proposés dans la déclaration Balfour de 1917, ont bien été tenus. Dans sa lettre au baron Rotschild de novembre 1917, Arthur Balfour écrivait : « Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.
Que « rien n’ait été fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des dénommées, par déni d’identité, collectivités non-juives », voilà qui s’apparente à une contre vérité, compte-tenu de la situation sur le terrain.
Rappeler, par ailleurs, que de 1948 à 1967, les chrétiens et les juifs n’ont pu se rendre à Jérusalem pour prier, est de bonne guerre, cela permet de bien ancrer dans les esprits que d’un côté on a des Israéliens chrétiens et juifs tolérants et laïcs, et de l’autre des Palestiniens musulmans opposés à toute laïcisation.
Cependant l’argumentation pèche par son an-historicité, voire son essentialisme. En effet, bien avant la guerre de 1948, comme le rappelle Elias Sambar dans « Figures du Palestinien » (éditions Gallimard, p. 58), CR Conder, l’une des célébrités du Palestine Exploration Fund, qui publie en 1 878 son Tent work in Palestine, dresse, au terme de quatre années de recherches un index de lieux à l’ouest du Jourdain mentionnés dans la Bible et dans les écrits apocryphes, faisant état de 622 sites religieux « mélangés », en d’autres termes où les rituels des trois monothéismes se côtoyaient, voire, empruntaient les uns aux autres.
La période de 1948 à 1967 à laquelle il a été fait allusion,( pour rappeler qu’au cours de ces années les chrétiens et les Juifs ne pouvaient pas aller prier à Jérusalem-Est), est, comme son nom l’indique, un après-guerre, et les comportements des uns et des autres sont à appréhender en rapport avec l’hostilité et les crispations induites par cette guerre, et non en raison d’un essentialisme ou d’un ethnicisme.
Il faut rappeler, à ce titre que durant cette même période, les Arabes dits israéliens » ou « de 48 », ceux qui ne sont pas partis avec les 750 000 autres, sont dans une configuration où 450 villages ont été rasés, et où ils sont soumis pendant ces 19 années au couvre-feu, dont ils peuvent payer de leur vie le non-respect. On voit mal, dans ce contexte comment ces Palestiniens pouvaient bien avoir un accès normal aux mosquées et églises qu’ils étaient supposés fréquenter.
On trouvera sur http://www.ism-france.org/analyses/Rapport-Profanation-des-Lieux-Saints-article-3754 un état des lieux des mosquées, mais aussi d’églises, de leur destruction, de leur « reconversion » ou de l’impossibilité d’y accéder en raison des « zones fermées » et de l’intimidation exercée par les officiels, et aussi des cimetières musulmans abandonnés dont Benvenisti, maire adjoint de Jerusalem-Est de 1971 à 1978, a pu dire que « leur état est si honteux qu’il soulèverait une tempête dans tout autre pays. »
Eu égard aux Territoires occupés :
La colonisation a mis en place un formidable appareil destiné à empêcher les Palestiniens de se déplacer : Le Mur, les centaines de check-points, les terminaux, les blocs de béton, les barrages flottants. Ce dispositif à lui seul rend difficile tout mouvement, y compris pour rejoindre des mosquées ou des églises. A cela s’ajoute à partir de 1993 le bouclage périodique des dits Territoires à hauteur de 2 mois par an jusqu’aux années 2000 (484 jours), qui fige encore plus la vie des Palestiniens en les cantonnant dans leurs zones ou leur ville.
Concernant Jérusalem-Est, faut-il rappeler les tentatives des extrémistes juifs d’empêcher l’accès de l’esplanade des mosquées aux Palestiniens ? Un fait dénoncé par le Conseil de l’UNESCO déplorant : - « Les agressions israéliennes et les mesures illégales limitant la liberté de culte et l’accès des musulmans au site sacré de la mosquée al-Aqsa/al-Haram al-Sharif.
Les récentes confiscations de parties du cimetière al-Youssefeyah et de la zone d’al-Sawanah ; l’interdiction faite aux musulmans d’inhumer leurs défunts à certains endroits et l’installation de fausses tombes juives en d’autres lieux des cimetières musulmans ; la violation que représente la conversion persistante de nombreux vestiges islamiques et byzantins en soi-disant bains rituels juifs ou lieux de prière juifs,
Faut-il aussi rappeler, entre autres faits, la construction d’un Musée de la Tolérance sur le cimetière de Mamilla à Jérusalem ouest ?
On lit dans l’article de Vijay Prashad (Frontline - magazine indien) que le « cimetière Mamilla, à Jérusalem, date des premiers temps de l’islam et contient des tombes anciennes soufies, mamelouks et même de Croisés et, qu’en 1927, le Haut Conseil Musulman avait mis un terme aux enterrements et l’avait classé site historique. Qu’en 1964, une section du cimetière a été rasée et transformée en parking avec toilettes. Que depuis 2004, il est devenu la proie du Centre Wiesenthal.
Concernant les chrétiens palestiniens, voit-on, au check-point 300 de Gilo, des cars qui les transporteraient de Jérusalem à Bethlehem, comme ceux que Tony Blair affrète pour les touristes ?
D’une façon générale, peut-on pratiquer une religion, quand à l’entrée du lieu saint, là même où vous êtes supposé faire l’expérience de la transcendance, deux policiers armés vous demandent vos papiers ?
Dire que « les Israéliens n’ont jamais empêché quiconque de pratiquer sa foi », une foi qui induit aussi un respect des morts, relève plus de l’opinion ou de la rumeur que de l’investigation.
Un tel propos risque de distiller dans les esprits que la colonisation n’a pas d’impact sur tous les aspects de la vie des Palestiniens, et que somme toute, il leur resterait des espaces de liberté suffisants pour mener une vie décente.