En France, l’intervention militaire au Mali a fait l’unanimité de la part des partis politiques officiels et des médias, de la droite aux "pacifistes" Verts. Les rares voix "discordantes" sont venues du Front de Gauche (PC/PG) reprochant simplement au gouvernement Hollande de n’avoir pas consulté le parlement ! Idem pour un communiqué de l’association Survie (qui lutte contre la "Françafrique") paru le 14 janvier 2013 : "La nature préméditée de cette intervention armée aurait indiscutablement dû susciter une prise de décision parlementaire." Mais aussi : "Cette intervention ne s’inscrit pas dans le cadre des résolutions de l’ONU. Des mois de négociations ont permis de faire voter trois résolutions du Conseil de Sécurité, ouvrant la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et pouvant faire usage de la force, mais officiellement sans implication directe des militaires français. En informant simplement le Conseil de Sécurité, (...) elle a finalement pu justifier une décision bilatérale. Ce changement majeur, qui met ses ‘partenaires’ devant le fait accompli, est complaisamment occulté afin de laisser à nouveau croire que la France met en œuvre une volonté multilatérale actée au sein de l’ONU. Il est donc nécessaire qu’elle respecte au plus vite les résolutions de l’ONU."
Ainsi, dans les voix "critiques", ce n’est nullement la croisade militaire, ni le militarisme en lui-même, qui sont mis en cause, mais seulement la façon de faire !
Les gauchistes (LO et NPA), plus radicaux, ont dénoncé cette intervention militaire, à travers différents communiqués, afin de mettre en avant un mot d’ordre… démocratique bourgeois, celui de l’appel "au droit des peuples a disposer d’eux-mêmes". Il y a même eu dans certaines villes de France des appels à des rassemblements, dans le sillage de ces mêmes initiatives1. Nous y reviendrons ultérieurement.
Outre les différentes prises de position de ces différentes organisations bourgeoises, l’intervention militaire a aussi suscité des prises de position de la part d’éléments qui se sont exprimés sur différents forums. Interventions qui ont suscité un débat dans lequel s’inscrit cet article. Sur un forum qui s’appelle "forum anarchiste", il est dit : "Les réalités que vivent les gens sont parfois très simples. Jusqu’à Bamako les gens étaient angoissés par l’irruption possible des milices fondamentalistes.
Et là, c’était pas Marine le Pen au deuxième tour. Non, une vraie menace. Des gens qui fouettent ou exécutent en public, coupent des membres. Des gens qui interdisent jusqu’à la musique, détruisent des tombeaux respectés depuis des siècles, brutalisent aussi bien des femmes que des vieillards.
Pour un Malien lambda pour qui la violence est la dernière extrémité à éviter, même quand toute négociation n’est plus possible, c’est l’horreur.
Une invasion barbare. Voila ce que craignaient les Maliens. Mais, vu de Paris, ça ne doit pas sembler réel. Vous ne mesurez pas la gravité de la situation. Vous croyez que les Maliens qui saluent l’armée française tout au long des routes le font de gaieté de cœur ? Vous croyez que ça leur plait vraiment de voir des soldats blancs débarquer pour venir les protéger ? Le Mali, complètement miné, n’est pas capable de faire face à ce genre de menaces."
Sur ce même forum, un intervenant répondait très justement (à notre avis) à cette intervention en disant : " … On peut constater que loin de libérer les gens, le gouvernement français continue à maintenir les gens sous le joug de régimes plus dictatoriaux les uns que les autres. Pour le Mali, il est évident que l’intervention de la France ne vise pas à combattre l’obscurantisme mais bien à défendre les intérêts de la Françafrique. Si les islamistes voulaient collaborer avec les capitalistes français, la charia ne les dérangerait pas, mais comme il n’en est rien ils veulent les chasser".
Une autre intervention, parue sur notre forum cette fois, mettait en évidence que l’intervention au Mali se faisait pour "des intérêts pétroliers et miniers" et demandait s’il ne fallait pas la soutenir au nom du moindre mal ? Voici l’essentiel de cette intervention : "L’intervention armée – même si elle se fait bien sûr pour les intérêts pétroliers et miniers des bourgeoisies locales et impérialistes – a-t-elle accentuée la barbarie ou bien fait réduire – temporairement et imparfaitement – la vitesse de la chute vers la barbarie ? Que ceux qui veulent répondre lèvent la main (ou leur moignon...)". Dans sa même intervention, le camarade faisait un parallèle avec la Deuxième Guerre mondiale et la chute du système soviétique. "L’humanité vit-elle mieux, moins bien ou pareil sans le régime nazi (ou Pol Pot ou autre ...) ? Bien sûr, les alliés –et, au premier rang, les USA– ne sont pas venus libérer l’Europe pour la démocratie et la liberté, mais pour des questions de suprématie économique. Devons nous pour autant regretter qu’ils se soient débarrassés de leurs compétiteurs nazis ?"
Naturellement, nous pensons qu’il faut dénoncer la barbarie des djihadistes, celle des nazis et des staliniens. Mais n’en rester qu’à cela, même si on se dit contre l’intervention militaire, même si on reconnaît que l’intervention n’a rien d’humanitaire et qu’elle défend les intérêts du capital national, amène implicitement à dire que dans certaines circonstances on peut s’accommoder d’un des camps de la barbarie. Il faudrait donc, au nom du moindre mal, soutenir des États qui se battent contre les expressions les plus extrêmes, les "plus méchants". A travers cette position du "moindre mal" est perdu de vue le fait que la barbarie n’est pas l’émanation de tel ou tel régime bourgeois pris en soi (nazi, staliniens, djihadistes) mais le produit du capitalisme lui-même, comme un tout.
L’idéologie du "moindre mal" va de pair avec celle de "la fin qui justifie les moyens". C’est pour cela que la barbarie devient alors "démocratique", "humanitaire", qu’elle commet ses crimes au nom de… la civilisation ! Par exemple, ce sont les États-Unis qui vont lâcher deux bombes atomiques sur le Japon en 1945… pour soi-disant mettre un terme à la poursuite du massacre sur les champs de bataille alors qu’il s’agissait seulement de freiner l’avancée des Russes vers l’Asie ! N’oublions pas non plus que les États démocratiques, qui dénonçaient la barbarie nazie, connaissaient l’existence des camps de concentration, et qu’ils n’ont rien fait pour bombarder les lignes de chemins de fer qui conduisaient des millions de gens vers la mort. Au contraire, ils poursuivaient eux-mêmes les massacres et les actes barbares dans les colonies. Plus récemment, n’oublions pas, par exemple, que la France est directement complice des massacres du Rwanda de 1994 (800 000 morts en 4 mois).
De plus, quand leurs intérêts impérialistes se recoupent, ces mêmes États démocratiques, "outrés" par ceux qu’ils dénoncent comme des "bouchers" ou des "dictateurs" pour les besoins de leur propagande, se retrouvent main dans la main et n’hésitent jamais à s’allier avec eux afin de faire face à un ennemi commun. C’est ainsi qu’aujourd’hui en Syrie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France soutiennent la rébellion et l’ASL (armée de la Syrie libre) par l’envoi d’armements, alors que l’ASL est renforcée (voir noyautée) par des groupes djihadistes proche de la mouvance Al-Qaida !
N’oublions pas non plus, l’aide massive des États-Unis aux Talibans quand ceux-ci s’opposaient à l’ex-URSS pendant la guerre en Afghanistan.
Ces quelques exemples montrent bien que la barbarie n’est pas le fait de tel ou tel régime, comme l’induit l’intervention citée plus haut, mais bien l’émanation du capitalisme, de ses principes de vie.
La position du "moindre mal", outre le fait de nier que c’est le capitalisme qui produit la barbarie, comme le mettait en avant le mot d’ordre "socialisme ou barbarie" du 1er Congrès de l’Internationale communiste en 1919, conduit toujours, au bout de sa logique, à soutenir un camp impérialiste contre un autre.
C’est une variante de la position pacifiste. On dénonce la guerre en soi, on mobilise la classe ouvrière contre celle-ci et, quand la guerre éclate, il y a toujours un camp "plus barbare que l’autre" (soi-disant) ! On appelle ainsi le prolétariat à soutenir un camp contre un autre ! C’est ce qui s’est passé dans tous les conflits.
Souvent, les tenants de la politique du moindre mal disent qu’en ne prenant pas parti dans un camp du conflit guerrier, ce serait faire preuve d’indifférence et que cela ne ferait que traduire un soutien à la barbarie commise par certains régimes. L’intervention du forum citée plus haut ne le dit pas, mais c’est tellement sous entendu qu’il faut être sourd pour ne pas l’entendre ! Nous ne partageons pas cet argument. Dans tous les conflits, les organisations révolutionnaires ne sont jamais restées indifférentes. Par contre, leur position n’a jamais été de soutenir un camp contre un autre, mais de mettre en avant que face à la guerre, aux conflits armés qui ensanglantent la planète, la seule perceptive pour en finir avec la barbarie capitaliste, c’est le développement de la lutte ouvrière révolutionnaire à l’échelle internationale.
Voilà quelques éléments de réponse vis-à-vis de prises de position que nous saluons, car elles participent au débat qui doit se mener au sein de la classe ouvrière. Et nous invitons les lecteurs à ne pas hésiter à prendre position sur ce débat, à poser leurs questions et exprimer leurs doutes ou désaccords2.
Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org
1 Cet article n’a pas pour but spécifique de faire la critique de la position des organisations gauchistes sur "le droit des peuples à disposer d’eux- mêmes". Pour cela, nous renvoyons le lecteur à la position que défend le CCI sur l’impérialiste qu’on peut trouver sur : http:fr.internationalism.org/ri372/imperialism.
2 Nous profitons donc de l’occasion pour inviter tous les lecteurs à venir participer aux débats de notre forum : http://fr.internationalism.org/forum/312.