RSS articles
Français  |  Nederlands

L ’ introuvable populisme -

posté le 14/03/18 par Jacques Rancière Mots-clés  réflexion / analyse 

Il ne se passe pas de jour où l’on n’entende en Europe dénoncer les risques du populisme. Il n’est pas pour autant facile de saisir ce que le mot veut exactement dire. Il a servi, dans l’Amérique latine des années 1930 et 1940, à désigner un certain mode de gouvernement, instituant entre un peuple et son chef un rapport d’incarnation directe, passant par-dessus les formes de la représentation parlementaire. Ce mode de gouvernement dont Vargas au Brésil et Perón en Argentine furent les archétypes a été rebaptisé « socialisme du vingt-et-unième siècle » par Hugo Chavez.

Mais ce qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de populisme en Europe est autre chose.

Ce n’est pas un mode de gouvernement. C’est au contraire une certaine attitude de rejet par rapport aux pratiques gouvernementales régnantes. Qu’est-ce qu’un populiste, tel que le définissent aujourd’hui nos élites gouvernementales et leurs idéologues ?

A travers tous les flottements du mot, le discours dominant semble le caractériser par trois traits essentiels : un style d’interlocution qui s’adresse directement au peuple par-delà ses représentants et ses notables ; l’affirmation que gouvernements et élites dirigeantes se soucient de leurs propres intérêts plus que de la chose publique ; une rhétorique identitaire qui exprime la crainte et le rejet des étrangers.

Il est clair pourtant qu’aucune nécessite ne lie ces trois traits. Qu’il existe une entité appelée peuple qui est la source du pouvoir et l’interlocuteur prioritaire du discours politique, c’est ce qu’affirment nos constitutions et c’est la conviction que les orateurs républicains et socialistes d’antan développaient sans arrière-pensée. Il ne s’y lie aucune forme de sentiment raciste ou xénophobe. Que nos politiciens pensent à leur carrière plus qu’à l’avenir de leurs concitoyens et que nos gouvernants vivent en symbiose avec les représentants de grands intérêts financiers, il n’est besoin d’aucun démagogue pour le proclamer. La même presse qui dénonce les dérives « populistes » nous en fournit, jour après jour, les témoignages les plus détaillés. De leur côté, les chefs d’Etat et de gouvernement parfois taxés de populisme, comme Berlusconi et Sarkozy, se gardent bien de propager l’idée « populiste » que les élites sont corrompues. Le terme « populisme » ne sert pas à caractériser une force politique définie.

Au contraire il tire son profit des amalgames qu’il permet entre des forces politiques qui vont de l’extrême-droite à la gauche radicale.

Il ne désigne pas une idéologie ni même un style politique cohérent.

Il sert simplement à dessiner l’image d’un certain peuple.


posté le  par Jacques Rancière  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
Liste des documents liés à la contribution
rafiti-lp.jpg


Commentaires

Les commentaires de la rubrique ont été suspendus.