Depuis quelques années, dans la CGT et la FSU – cartel de syndicats de l’Education nationale corporatistes et cogestionnaires – se développe un courant « critique » des directions : le Front syndical de classe. Comme il l’a fait en 2009 au congrès confédéral de la CGT en présentant un candidat contre Bernard Thibault, le FSC entend animer l’opposition lors du congrès de Toulouse. Mais en réalité ces prétendus « syndicalistes de classe » partagent la même orientation non classiste que les directions qu’ils critiquent.
Le FSC et le Congrès de la CGT
Dans les contributions publiées sur leur site dans le cadre de la préparation du prochain congrès de la CGT , on peut lire que deux tendances vont s’affronter : les partisans de la collaboration des classes, et le partisans de la lutte de classes. Voilà qui est parler net !
Mais examinons d’un peu plus près ce que disent et proposent ces partisans auto-proclamés de l’héritage de classe de la CGT. Pour eux, les « camarades » de la direction font « erreur ». Cette erreur, c’est la recherche de l’alliance avec la CFDT et les « organisations réformistes » (la CGT ne faisant donc pas partie de ces dernières) ; cette stratégie qui a « échoué » selon le FSC, « découle bien évidemment de l’appartenance, comme presque tous les syndicats français, à la CES [Confédération Européenne des Syndicats]. Cette alliance correspondant sur le fond à leur intégration dans l’Union européenne » (1).
Leur texte se termine en affirmant « qu’il n’ y a pas d’issue à la crise et de moyens d’avancer vers la satisfaction des intérêts de tous (en matière de santé, de sécurité sociale, de retraite, de salaires, de créations d’emplois stables…) sans porter en avant les revendications essentielles des travailleurs ».
Il existerait donc selon eux une issue à la crise, et elle passerait par la satisfaction des revendications des travailleurs : éternel discours de tous les réformistes qui affirment non seulement que les revendications prolétariennes peuvent être satisfaites par le capitalisme, mais qu’en plus celui-ci s’en porterait mieux ! Si ce n’est pas là la justification de la collaboration des classes (dénoncée quand elle est pratiquée par les « camarades » dirigeants), qu’est-ce que c’est ?
Il faut aussi pour surmonter la crise, continue le texte du FSC : « remettre en cause : la domination des marchés financiers, la propriété capitaliste des moyens de production, le paiement de la dette, les traités européens qui organisent le pillage et recouvrer la souveraineté monétaire, la souveraineté nationale, et [recouvrer] de nouveaux droits pour les travailleurs ».
Les travailleurs n’ont aucun intérêt à défendre une quelconque « souveraineté monétaire » et « souveraineté nationale » ; ils n’ont pas de patrie, et leur premier ennemi est « chez eux » : ce n’est pas l’Union Européenne, mais les capitalistes français et leur Etat national. Les revendications de souveraineté nationale sont anti-prolétariennes. Tous les réformistes, tous les partisans de la collaboration des classes, veulent leur faire croire qu’il existe un intérêt supérieur aux intérêts de classe prolétariens, un intérêt qui serait commun à tous : l’intérêt national. Mais l’intérêt national, c’est l’intérêt du capital.
Depuis 1848 les communistes affirment ouvertement que leur lutte n’est pas nationale mais internationale et que les prolétaires n’ont pas de patrie ! Et que ceux-ci doivent lutter non pas pour de « nouveaux droits » qui leur seraient reconnus par leurs maîtres capitalistes, mais pour renverser ces derniers et prendre entre leurs mains tout le pouvoir.
Quant à la « remise en cause » (sic !) des « marchés financiers » et de la « propriété capitaliste des moyens de production », si on explique pas que cela signifie le prise révolutionnaire du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat pour briser l’Etat bourgeois et déraciner le capitalisme, ce n’est rien d’autre qu’une formule creuse qui se résume finalement à la revendication réformiste traditionnelle des nationalisations : transformer les entreprises capitalistes privées en entreprises capitalistes d’Etat. La propriété change, l’exploitation capitaliste reste…
Le FSC peut bien appeler à faire pression pour imposer « aux directions confédérales de s’engager dans une lutte frontale de haut niveau au lieu de s’ensabler dans les marécages du “dialogue social” et du “partenariat responsable” en vue d’un “compromis historique” dévastateur » (3) ; bref, il peut bien appeler à redresser la CGT, les appareils syndicaux collaborationnistes, dont fait partie au premier rang la CGT, ne peuvent pas être « redressés » pour redevenir des organisations de classe. Depuis des décennies, ils sont intégrés, non dans l’Union Européenne, mais dans le réseau serré des institutions de la paix sociale et de la collaboration des classes.
Le FSC pourfend en paroles la collaboration des classes, mais il n’appelle pas à rompre avec toutes ces institutions qui en sont la machinerie, depuis les Comités d’Entreprise jusqu’aux innombrables instances « paritaires » utilisées par la bourgeoisie pour s’attacher ces organisations prétendument ouvrières et corrompre les travailleurs qui y participent ; il n’appelle pas à refuser les subventions et financements divers du patronat et de l’Etat sans lesquels l’appareil syndical ne pourrait se maintenir. Soit parce qu’il sait que c’est impossible, soit parce qu’il est d’accord avec cette intégration-là. Dans les deux cas cela démontre la fausseté de ses paroles.
Si les communistes se doivent de travailler, quand c’est possible, à l’intérieur des syndicats, ce n’est pas dans le but de redresser ou de conquérir des appareils irréductiblement liés à l’ordre économique et social existant ; ni dans celui d’y instaurer une « démocratie syndicale » qui permettrait aux révolutionnaires de se voir aimablement reconnaître leur liberté d’action par la bonzerie vendue à la classe ennemie.
La seule activité possible doit se mener à la base, au contact des travailleurs du rang ; c’est la lutte pour l’organisation classiste des prolétaires, lutte qui se heurte inévitablement aux orientations et aux pratiques collaborationniste des appareils syndicaux. Il faut être clair : la renaissance d’organismes de classe pour la lutte immédiate se fera sans ces derniers et contre eux..
Le social-chauvinisme du FSC
Fondamentalement, le FSC défend une version braillarde de la politique de la direction de la CGT.
L’année dernière, tout comme Bernard Thibault, il a appelé à voter François Hollande ; le tract FSC pour le 1er mai avait comme titre : « Sortir Sarkozy, Battre la politique du capital ! ». La politique du capital était donc seulement celle du président sortant, et les urnes pouvaient la mettre en échec, prétendaient ces terribles lutteurs de classe ! D’après le FSC, « la réélection de Sarkozy aurait constitué un terrible coup pour les luttes, ouvrant la voie à une aggravation sans limites d’une politique de plus en plus droitisée » (« Et maintenant le déploiement de la lutte ! », 9/5/12). On voit aujourd’hui que ce sont ceux pour qui le FSC a appelé les travailleurs à voter qui assènent des coups aux prolétaires, qui aggravent la politique anti-ouvrière et qui étouffent les luttes…
Justement dans les luttes, le FSC propose en pratique la même stratégie que les bonzes syndicaux : journées d’(in)action à répétition et « manifestations nationales ». Il soutient toutes les journées d’action – qui ne servent qu’à démobiliser les prolétaires et à éparpiller les luttes – les présentant comme « un premier élément de la résistance et de la mobilisation générale public-privé à construire » (4) ou « un premier pas dans la résistance » (« Le 5 mars et après ? », 28/2/13). Il va même jusqu’à saluer cette politique néfaste de démoralisation jugeant qu’ « il est positif de voir que la CGT, la FSU et Solidaires ont pris leur responsabilité et appelé à la mobilisation sans attendre le feu vert des organisations d’accompagnement de la casse sociale que sont la CFDT ou l’UNSA » (5).
Face à la vague de licenciements dans l’automobile, il défendait également l’idée d’une manifestation nationale (« Il y a urgence d’une manifestation nationale à Paris », 9/7/11), et de même aujourd’hui contre l’accord patronat-syndicats sur la « sécurisation de l’emploi » (« Le 5 mars et après ? », 28/2/13) ; mais les manifestations sans lendemain de ce genre, régulièrement organisées par le collaborationnisme syndical, ne servent à rien, sinon à détourner les prolétaires de la véritable lutte d’ensemble contre le patronat et son Etat.
Bref, si on cherche une opposition lutte de classe dans la CGT, il ne faut pas se tourner vers ce « front » qui refuse – comme toute la bonzerie – le retour aux véritables méthodes classistes de lutte !
Nostalgique de la « vieille » CGT réformiste, le FSC tente de remettre au goût du jour les pires élucubrations autour du « Produisons français » des années 1970-80, se faisant le champion d’une version musclée du « patriotisme économique ». Il entend combattre non pas la bourgeoisie, mais les « multinationales », la « finance » et surtout l’Union Européenne. Face à ces ennemis étrangers, le FSC veut défendre « l’appareil industriel français », « réindustrialiser le pays », assurer « le sauvetage de l’industrie et au-delà le développement du pays » pour éviter « le retour d’un siècle en arrière que connaîtront la France et son peuple avec des pans entiers de l’économie réelle qui seront rayés de la carte, tandis que des régions entières seront dévastées par le chômage de masse et la misère ». Tout cela au nom de l’intérêt général : « le capital qui dirige la vie économique, sociale, politique de notre pays est incapable d’œuvrer pour l’intérêt collectif : avec ses serviteurs politiques et médiatiques, il œuvre et manœuvre pour son strict intérêt de classe, pour ses privilèges et profits immenses » (6).
A la différence du « capital », les prolétaires devraient donc dépasser leurs stricts intérêts de classe pour sauver l’économie nationale et défendre un capitalisme bien tricolore contre ses concurrents étrangers !
C’est la ligne que défend le FSC sur la Grèce. Loin de dénoncer la bourgeoisie et le capitalisme grecs, il vocifère contre « le pouvoir des monopoles » et « le FMI et la Banque Mondiale appuyés par des dirigeants locaux corrompus et vassalisés » (« Solidarité avec le peuple Grec ! », 1/7/11).
C’est également sa position sur la lutte des FRALIB dans les Bouches-du-Rhône. Le FSC défend la « relocalisation des activités industrielles [comme] une absolue nécessité ». Il présente cette lutte des ouvriers contre les licenciements comme « combat pour sauver leur entreprise rentable » (« Les Fralib à Nice », 9/2/13) et reprend sur son site le slogan chauvin mis en avant par les syndicats : « L’Eléphant est Français, en Provence il doit rester » : ce ne sont pas les travailleurs qu’il faut défendre, mais l’entreprise qui les exploite !
Ces discours nationalistes sont fondamentalement réactionnaires, et ce depuis fort longtemps. Déjà en 1848, Marx et Engels écrivaient dans Le Manifeste Communiste que : « Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale ».
Pour les faussaires anticommunistes du FSM qui se lamentent que la bourgeoisie enlève à l’industrie sa base nationale, les paroles sur le « syndicalisme de classe » ne sont que le cache-sexe d’un nationalisme interclassiste échevelé.
Ils veulent construire un nouveau Conseil National de la Résistance – à l’image de l’alliance entre le PCF, De Gaulle et d’autres forces bourgeoises pendant la Seconde Guerre mondiale – pour « l’avenir de la nation, de nos enfants de nos petits enfants, des services publics, de la santé et au delà ». Tout cela est justifiée par le fait que la France se trouverait dans une situation proche de celle de 1940 car « l’Euro constitue une occupation monétaire destructrice depuis 2002 et l’oligarchie financière occupe et possède le pouvoir » (Intervention du FSC au débat du M’PEP, 3 /11/12). Si cette main tendue se fait avec quelques exclusives « en excluant bien évidemment l’extrême droite et le MEDEF », le FSC propose donc une large alliance interclassiste qui enchaîne le prolétariat non seulement à la petite-bourgeoisie mais également aux petits patrons et aux partis de droite « patriotes » !
Ses déclarations bruyantes peuvent attirer des militants déçus par le collaborationnisme new look trop affiché de la CGT, mais le FSC n’est pas et ne sera jamais une opposition de classe dans la CGT ou dans le mouvement syndical. Ce « front » ne représente qu’une autre facette de la politique de collaboration de classe, un réformisme musclé « made in France ».
En 1921, le Programme d’action de l’Internationale Syndicale Rouge décrivait ce qu’est la lutte de classe :
« Le front des classes se trouve à l’intérieur du pays. La classe ouvrière fait partie de la société contemporaine. Elle s’est nourrie de la culture bourgeoise ; ses enfants étudient dans les écoles de l’Etat, elle lit les journaux bourgeois, etc. Le front des classes est en zigzags et les ennemis de classe pénètrent la classe ouvrière, non seulement matériellement, mais aussi spirituellement ; ils y comptent des adeptes, des disciples, des défenseurs, voire même des troubadours ».
Le FSC – qui s’emploie à distiller le poison du chauvinisme dans les rangs ouvriers – n’est que le dernier avatar de ces ennemis !
(1) cf http://www.frontsyndical-classe.org/article-toulouse-mars-2013-quel-congres-cgt-115640701.html
(2) L’influence de la FSM se manifeste dans la défense par le FSC des sanguinaires régimes de Bachar el Assad ou de Kadhafi. A l’inverse de cette position, l’opposition résolue aux interventions militaires impérialistes sur une base de classe ne peut pas signifier le soutien aux régimes attaqués : il faut soutenir les prolétaires, jamais les régimes bourgeois.
(3) « Pour l’heure, ce sont Parisot et Mittal qui gouvernent ! », 13/12/12
(4) « Contre-attaque », 28/1/13
(5) Ibidem
(6) « Pour l’heure... » op. cit.
Parti communiste international