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"Chers occupants, nous sommes désolés si nous heurtons votre sensibilité"

posté le 09/05/18 par Gideon Levy Mots-clés  antifa 

Il n’y a pas UN homme d’État israélien qui ait l’intention aujourd’hui de s’excuser pour la Nakba, pour le nettoyage ethnique, pour l’exil. Mais Mahmoud Abbas, pour sa part, n’a eu d’autre choix que de s’excuser pour sa remarque sur l’Holocauste.

Il est difficile d’imaginer un scénario plus infondé, bizarre et fou que celui-ci : le leader du peuple palestinien est obligé de s’excuser auprès du peuple juif. Celui qui a été volé s’excuse auprès des voleurs, la victime s’excuse auprès du violeur, les morts demandent pardon à l’assassin.

Après tout, les occupants sont si sensibles – et leurs sentiments, et seulement les leurs, doivent être pris en compte. Une nation qui n’a pas cessé d’occuper, de détruire et de tuer, et qui n’a jamais envisagé de s’excuser pour rien – pour quoi que ce soit ! – exige des excuses de ses victimes pour une phrase dérisoire de leur chef. Le reste est connu : “les excuses ne sont pas acceptées”.

Qu’avez-vous pensé qu’il arriverait ? Qu’elles seraient “acceptées” ?

Point n’est besoin d’être un admirateur du président palestinien Mahmoud Abbas pour comprendre la profondeur de l’absurdité. Point n’est besoin non plus d’être un ennemi d’Israël pour comprendre l’étendue de la chutzpah [2].

Israël détient une carte magique, la loterie du siècle : l’horreur de l’antisémitisme. La valeur de cette carte connaît une hausse qui donne le vertige, surtout maintenant que l’Holocauste s’éloigne et que l’antisémitisme est remplacé dans de nombreux pays par la critique d’Israël. Jouer cette carte porte-bonheur couvre tout. Ses détenteurs ne peuvent pas seulement faire tout ce qu’ils veulent, ils peuvent peuvent le faire en toute impunité sans craindre d’être insultés ou mis sous pression.

Le monde s’est agité contre Abbas comme jamais il ne l’a fait pour aucune provocation israélienne – le chœur de l’Union européenne, l’envoyé des Nations Unies et bien sûr l’ambassadeur des colons, David Friedman, qui ne dénonce jamais Israël mais seulement les Palestiniens. Même le New York Times a adopté un ton étonnamment vif : “Que les mots vils d’Abbas soient les derniers qu’il prononce en tant que dirigeant palestinien” [3].

Il est difficile d’imaginer que ce journal, que la droite juive a désigné comme un haïsseur d’Israël – à tort, bien sûr – utiliserait un langage similaire à propos d’un Premier ministre israélien ; par exemple celui qui est responsable du massacre de manifestants non armés.

Il y a aussi un double standard en Israël, qui n’attaquera jamais la droite antisémite en Europe avec autant de hargne que Abbas, qui est certainement beaucoup moins antisémite, voire pas du tout, que le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache ou le Premier ministre hongrois Viktor Orban.

Abbas a dit quelque chose qui n’aurait pas dû être dit. Le lendemain, il s’est excusé. Il a regretté et rétracté ce qu’il a dit, a condamné l’Holocauste et l’antisémitisme et a réaffirmé son attachement à la “solution à deux États”. Il s’en est fallu de peu pour qu’il s’agenouille devant les bottes cloutées d’Israël et demande pardon pour avoir l’audace de continuer à vivre sous elles.

Mais Israël ne laissera aucune excuse arrêter sa malsaine jubilation. Le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, a vite fait de condamner l’autre camp, comme d’habitude : “les excuses d’un méprisable négationniste ne sont pas acceptées”.

Abbas est beaucoup moins un négationniste de l’Holocauste, voire pas du tout, qu’Israël n’est négationniste à propos de la Nakba [4].

Mais nier la Nakba est autorisé, en fait c’est un must en Israël [5], et nier l’Holocauste est interdit (et à juste titre). Le fait que l’Holocauste était beaucoup plus horrible que la Nakba ne justifie pas le déni de la catastrophe de l’autre, qui est sans fin.

Antisémitisme ou non, la situation de chaque juif dans le monde est meilleure et plus sûre aujourd’hui que la situation d’un Palestinien dans les territoires occupés ou d’un Arabe en Israël. Il n’y a aujourd’hui guère de Juifs privés de droits comme les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, mais des Juifs sont discriminés comme les Arabes en Israël. Et quand un juif en France est poignardé, le président de la république vient lui rendre visite. Et quand un Arabe en Israël est poignardé, le Premier ministre continue ses provocations. Et quand il provoque, il ne s’excuse jamais.

Israël ne s’est jamais excusé pour la Nakba – ni pour le nettoyage ethnique, ni pour la destruction de centaines de villages et l’exil de centaines de milliers de personnes chassées de leurs terres. Israël ne s’est pas non plus excusé pour les crimes de l’occupation depuis 1967, pour le vol de terres et la construction [illégale] des colonies, ou pour les arrestations, les massacres et la destruction de la vie d’une nation.

Aucun homme d’État israélien n’a aujourd’hui l’intention de faire cela comme une étape nécessaire vers un avenir différent. Mais Abbas doit s’excuser, sinon Lieberman et le New York Times vont exiger sa tête. En fait, ils l’exigeront même après qu’il ait présenté ses excuses.


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